Folie

La pluie battait sans fin les carreaux de l’étroite pièce où klaus imperturbable admirait les méandres de l'eau. Perdu dans ses pensées, bercé par le continuel martellement, prisonnier de son silence, il semblait bien lointain en ce jour gris. Assis sur la fenêtre où il logeait à peine, toute la salle était à l'image de son humeur, dépouillée de tout ornement excessif, de toute éclairage trop violent, sobre jusque dans sa taille, on aurait presque pu dire un placard à balai. Reprenant soudain vie il se mit à faire jouer sa main devant ses yeux avant de soupirer...19années s'étaient écoulés et il avait l'étrange sensation de n'avoir jamais rien appris, de n'avoir jamais grandi.
Le jeu de ses doigts s'accéléra, jeu d'ombres et de lumières et soudain apparut entre chacun de ses doigts une rose noire à l'éclat terne, le garçon eut un sourire singulier:

-Subtile illusion...touchante désillusion...

Il fit à nouveau jouer ses doigts et les roses une à une devinrent poussière:

-Tout n'est que vent...poussière.

Il eut un rire léger, presque semblable à un dément. Il posa un à un ses doigts sur la vitre froide et souriant sans raison continua son monologue:

-Joyeux anniversaire Klaus. Tous mes voeux petit géant, tous mes voeux inconscient.

Il apposa son front contre la vitre froide, il n'était dans cette école nul pour comprendre sa folie, il était d'un autre monde, d'un autre temps et les cruels destins de milliers de mortels, les insoutenables horreurs d'une centaine de cinglés n'avait guère plus de prise sur lui que la brise sur un arbre centenaire. Il songea à Catarina, sa beauté et sa sincérité l'avait ému, il avait cru aimer mais en était-il seulement capable? Il ne l'avait pas vu depuis quelques temps mais en était-il seulement triste? Il n'aurait su le dire.

Il éteignit les bougies qui dispensaient une faible lumière et n'en laissa qu'une allumée, une unique flamme dont il fit un jeu. Les brûlures glissaient sur sa peau, détaché de ce monde où tout n'est que conscience, le pauvre garçon ne savait lui même plus vraiment où se situait les limites. Il plaça sa paume sur la flamme, brûlant volontairement sa peau sans que la douleur ne vienne perturber ses pensées:

-Tu n'es que fantôme. Immatériel et indécis, le vent lui-même aurait plus de prise sur la vie que toi. Pauvre Klaus, je n'ai que ma pitié à t'offrir et ce masque pour te cacher.

Il retira sa main, au centre un cercle de peau brûlée lui arracha un nouveau sourire alors qu'il pensait à la réaction qu'aurait eu les autres,...oui il était fou et prêt à le reconnaître. Il souffla la dernière bougie:

-Passe les chimères, aux frontières de votre réel, je ne suis qu'un fou en haillon qui vient mendier votre raison.

L'obscurité s'abat sur la pièce, comme un voile noire sur une oeuvre achevée, un rideau sur une pièce terminée. Le silence pèse sur les épaules de l'invisible seulement troublé par la respiration si régulière et si calme d'un jeune homme brun.

Klaus s'allonge sur le sol, torse nu contre le carrelage froid du mois de février. Il frissone à peine mais ne retient pas la larme sombre qui lentement glisse sur sa joue, traçant un sillon humide sur sa peau claire et roule doucement et de façon irrégulière pour se briser à la rencontre du sol. Il rit brusquement et son corps se convulse puis inerte retombe, sa tête tape lourdement contre le sol mais il ne souffre plus. Il admire d'un regard voilé le verre noir qu'il tient d'une main de moins en moins certaine.

Il sent le sang battre à ses veines, il l'entend marteler ses tempes alors que dans l'obscurité il devine encore les formes floues d'objets inexistants. Ses doigts jouent et apparaissent un puis deux autres verres, sa force se fait plus rare, ses sens plus troublés et la chute semble soudain inévitable.

Les verres un à un se brisent, sont-ils unique ou cent? Le bruit ne semble plus cesser, les éclats volent et blessent, le sang coule...peut-être, et les quelques gouttes restantes s'échouent sans bruit, sans vague et sans pardon.

L'autre continue son chemin, s'insinue lentement, se fait plus perfide, cruel. Il ne suffit plus guère à supporter la douleur et le corps semble encore apporter quelques dernières défenses. Les muscles se rétractent et sur le sol le garçon tremble sans pouvoir s'arrêter, le froid puis le chaud l'envahissent tour à tour sans lui laisser nul répit. Douleur et sommeil se livrent une guerre qui ne semble pouvoir s'arrêter. Klaus ferme doucement les yeux et sombre dans le faible coma qu'il recherchait. Le poison pourtant n'était guère puissant, simplement suffisant, sa main se desserre, désormais sans but pour l'animer et libère une simple feuille.

"Le temps s’écoule, minute après minute,
Si vite et si lentement que je me perds,
Vos regards me rappellent ma chute,
Ange déchu, dernière visite en enfer.

Les démons me tendent leurs bras décharnés
Et rien ne me terrifie plus que vos sourires,
Faible, je ploie face à votre immensité
Et me noie, doucement, dans le rire.

Puisqu’il n’est pas de jour, pas de nuit,
Où mes larmes ne viennent brûler mes yeux,
Puisqu’il n’est pas de vous, pas de vie,
Qui ne me fassent rêver aux cieux.

Et ils sont milles, ils sont cent, tant,
Sourires charmants et regards enjôleurs,
Mes démons, mes cauchemars d’enfant,
Ne sont que votre humanité de malheur.

Je cours dans vos rues, sur vos pavés,
Où tant des vôtres ont pris place,
Larmes sur les joues, yeux fermés,
Je suis pourtant de votre race.

Arme au poing, je fais rire,
Moins fragile, moins docile,
Toujours prêt au pire,
Là, sans vie ou domicile.

Et il n’est ici nul pour m’ouvrir les mains,
Et il n’est là nul pour me montrer la voie,
Perdu dans les dédales de l’enfer de demain,
J’ère, sans but, sans repère, jusqu’à…quoi ?

Démon reclu, ange imparfait,
Peu de place pour mes ailes brisées,
En ce monde peut-être trop parfait,
Libre, j’aurais appris à l’être, un été."

L'homme ouvre péniblement les yeux, soulever ses paupières semble pour l'être encore endormi l'une des choses les plus hardues de ce monde et la simple action de se redresser lui est encore totalement inconcevable. Dos sur le sol, c'est à peine s'il parvient à remuer ses doigts ou à soulever son poignet. Avec peine il fixe son regard sur le plafond qui ne veut décidemment pas cesser de tourner.

Il ne ressent plus la piqure du lit de verre sur lequel repose son dos ni même la morsure du froid que laisse filtrer la fenêtre qu'il ne se souvenait même pas d'avoir ouverte. Un à un ses muscles se réveillent mais l'obscurité est toujours aussi opressante, la sueur coule le long de son front et il ne remue toujours pas.

Il voit le monde comme à travers d'autres yeux, d'une conscience qui ne lui appartient pas mais qu'il sait pouvoir atteindre. Sans le voir il sait chaque centimètre de derrière la lourde porte, sans la sentir il sent l'odeur grise du vieux château et sans l'entendre il devine le silence pesant du couloir abandonné.

Brutalement tout s'écroule et sans qu'il en prenne conscience il se retrouve debout, à nouveau près de la fenêtre qui laisse filtrer la lumière terne du jour toujours pluvieux. Il a du rester là quelques heures à peine, personne n'a remarqué son absence, qui l'aurait pu? Les yeux rivés sur le parc il se plaît à inventer des courbes inexistantes.

Un coup de poignard à l'estomac, larmes et sang tombent au sol alors qu'il se tient là agonisant les bras en croix sur son ventre. Il tousse, s'accroche, se bat, tout pour ne pas ressentir la douleur qu'il attendait pourtant. Il refoule les nausées qui l'assaille, combat les vertiges qui le prennent, la pièce n'est que cauchemard, piège refermé sur sa proie à jamais captive.

Et puis revient le calme, ses mains se détendent, ses doigts se dénouent et son regard redevient comme si souvent, absent. Il s'asseoit sur le mince rebord et passe ses bras autour de ses genoux, un sourire ironique au visage, il se moque de lui-même.

-Depuis combien de temps déjà? Un an deux ans peut-être? Mais que t'apporte donc ce poison? Pauvre toi, tu sais que ton avenir n'est pas dans cette boisson, dans cette souffrance que tu t'imposes? tu le sais n'est-ce pas, pantin? Rien n'efface jamais rien...

Klaus fredonne doucement une chanson qu'il invente au fil des notes et dessine sur la buée des vitres des visages, des centaines de visages, tous différents et pourtant tous semblables. Quelques dernirs vers s'accrochent à ses lèvres:

J'aurais voulu vous dessiner mon monde,
Pour vous écrire mes couleurs,
Pour vous dessiner mes douleurs,
J'aurais voulu vous écrire mon monde,
Mais vos mots bien trop barbares,
Ont fait fuir toutes les couleurs de mon art.
Me reste une palette de noir et de gris
Et un simple trait pour ce qui fut ma vie.

Il était une fois un simple enfant, guère plus grand que les autres ni même plus beau. Ce n'était ni un héros ni un dieu, un simple petit être chétif et presque toujours malade. Ce conte vous l'aurait compris n'en est pas un, ici nulle fin heureuse, nulle princesse aux cheveux d'or, nul chevalier héroïque ou dragon terrifiant, mon histoire est simplement celle d'un fou.

Tel l'arbre aux milles ramifications puisant force et vigueur dans la terre par son réseau de racines, je suis multiple. Mon enfance ne fut que plusieurs et mon futur se divise en autant de possibilité que d'étoiles en ce ciel profond que je ne contemplerai peut-être pas ce soir. J'ai à l'esprit une multitude de souvenirs dont je ne suis guère certains qu'ils m'appartiennent.

Parmis ceux-là est la caresse d'une mère, son tendre baiser le soir au coucher, sa main fraîche dans mes cheveux blonds et ses mots emplis d'amours qui rebondissent si bien sur ses lèvres pleines; ma mère est morte lors de ma naissance et mes cheveux sont aussi noirs que l'abîme qui me sépare de la réalité. Il est aussi une jeune fille, éblouissante, ses cheveux roux volant aux vent, son rire en cascade suffit seul à me transporter mais ses oreilles d'elfe me font comprendre simplement que cette image encore ne m'appartient pas.

Et ce garçon qui joue, cet enfant qui crie, qui tempête, cette femme qui donne le sein à son nourisson, cet homme et cette femme qui s'embrassent, ces caresses, ces gifles, ces cris, ces rires, ces pleurs, ces sourires...Rien n'est mien.

Je vis dans un monde où tout n'est que merveille mais ou tout m'est interdit, je suis l'intrus venut fouler leur terre, je suis l'élément de trop, celui qui vient troubler le paysage. Suis-je seulement?

Une seule question effleure encore mon esprit troublé: "Existe t-il encore en Estonie un petit garçon au teint pâle, si frêle et si mince, qui dans son lit trop grand invente un monde à lui pour pallier à son manque de décor?"...Et s'il avait su aurait-il seulement souhaiter tourner la page de ce livre?...

"protect me from what I want..."

Le refrain de la chanson lui restent sur les lèvres, impossibles de s'en défaire. Cette prière il aurait voulu l'adresser...mais à qui? Aucun dieu en lequel croire, aucune magie en laquelle fonder ses espoirs, aucun être vers lequel se tourner.

La tête entre les mains il a envie de hurler, il voudrait crier pour les faire fuir, disparaître mais tous s'accrochent à sa mémoire, tant de visages, de gens, trop. Probable et impossible se nuancent, buée et flou, nuage et vapeur, délire...

Tremblement, sueur, douleur....manque.

Médicaments, alcool, poison, drogue....cercle infernal, nécessaire. Illusion et réalité confondus, les maux de crâne qui emplissent ses journées ne trouvent plus d'échapatoires.

Il trouve à taton la poignée de la porte et prie, prie de toutes ses forces pour que le couloir soit vide. Il se dirige une main contre le mur, tel un aveugle, pareil a un vieillard fatigué. Les marches semblent le mettre au supplicent et c'est presque à genoux qu'il parvient au septième étage.

La dragon parait vouloir lui demander quelque chose mais les mots ont perdus un sens, jusqu'à ce qu'il se rappelle du mot de passe. Il ne s'attarde pas à la salle commune continue sa route et atterit miraculeusement dans sa chambre, personne dans ce château déserté. Une main divine vers les pilules miracles, médicaments salvateurs et il s'étend sur son lit, à moitié shooté.

"Plus qu'une demi-vie, un échantillon de sourires,
Plus que quelques jours, un éventail de solutions,
Peines et troubles dans l'amertume du pire,
Joie et plaisir dans la solitude de la rédemption.
Egoïste sensation de bien-être, de tranquillité,
Quand tout semble soudain n'être qu'éphèmère,
Envie de me croire dieu, un jour, une éternité,
Perdu rayon du paradis, cherche en vain l'enfer."